Nous sommes le 13 décembre 2018 et un petit studio espagnol sort son tout premier jeu : Gris. Révélé par Devolver quelques mois plus tôt, son univers visuel avait suffi à attirer l’œil de n’importe quel esthète qui se respecte, et donnait l’occasion de conclure cette année en beauté (littéralement). Pas fou, l’éditeur américain est resté proche de Nomada et a travaillé à nouveau avec lui sur Neva. Comme pour son premier projet, un seul trailer suffira au studio pour marquer les esprits, avec néanmoins une différence de taille cette fois-ci : Neva aura droit à son World Premiere lors d’un Playstation Showcase. Une belle reconnaissance pour le studio indépendant de son savoir-faire largement reconnu et à raison.
Loup solitaire et petit
Si Gris était relativement abstrait dans son intrigue et ses thèmes, Neva se veut beaucoup plus concret. On incarne donc une guerrière sans nom qui, après la mort au combat d’une Louve avec des cornes de cerf aux pouvoirs divins, se retrouve à s’occuper de sa progéniture, nommée Neva. Le point de départ d’une relation extrêmement touchante entre la femme et l’animal. Le duo va se lancer dans une quête pour détruire les créatures maléfiques ayant tué la divine mère et qui ravage le monde. Est-ce que c’est la vengeance ou le devoir de libérer leurs terres qui les motivent ? Cela restera libre d’interprétation, puisqu’encore une fois, Nomada raconte son histoire par les images et non par les mots.
Même dans sa structure, Neva est beaucoup plus concret. Le jeu nous donne une motivation de départ détaillée au-dessus, mais également un grand méchant, la commandante de cette armée d’êtres gluants et noirs comme du pétrole. Comme les premières images du jeu le laissaient pressentir, l’ambiance ghibliesque est bien présente, puisqu’en plus de la déesse louve, on retrouvera également des sangliers et des cerfs dont les proportions défient les lois de la nature, comme on en verrait dans Princesse Mononoké.
Le roi de la forêt
Le jeu n’emprunte pas que cela au chef-d’œuvre de Miyazaki. La nature verdoyante de cet univers ravagé et les animaux corrompus par cette armée de mélasse laissent transparente sans équivoque des thèmes écologiques. Si la ligne narrative est classique dans ses enjeux, mais aussi dans sa structure très linéaire avec le passage des saisons en guise de chapitres, on note cependant que la conclusion offre un apport relativement intéressant, surprenant et propice à faire sortir un petit mouchoir.
La grande méchante.
Nomad’art
C’est donc une grosse sur le narratif par rapport au précédent titre du studio, mais soyons honnêtes, le principal argument de vente de Nomada est et restera sa direction artistique. On retrouve une composition picturale semblable à celle de Gris, à mi-chemin entre l’aquarelle et la peinture en mouvement. C’est sublime à chaque instant et le studio espagnol se permet une palette de couleurs plus large que dans son jeu précédent, alternant entre compositions pleines de couleurs vives et séquences ternes et mornes. C’est aussi l’occasion d’expérimenter avec des propositions artistiques sur lesquelles on préfère rester vagues pour préserver la surprise visuelle. Si on retrouve par instants les immenses structures en arches caractéristiques de Gris, la nature domine largement les environnements de Neva.
Neva, c’est le genre de jeux qui est le meilleur exemple pour faire valoir que le jeu vidéo est un art. On peut prendre une capture d’écran à n’importe quel moment du jeu et le rendu sera magnifique quoi qu’il arrive. Voilà à quel point la direction artistique est maîtrisée de bout en bout. La sensibilité artistique de Nomada Studio est inégalée et les Espagnols savent exactement quand user et abuser de leur technique préférée pour faire valoir leur travail : le zoom out pour rendre notre personnage minuscule face au gigantisme des décors qui décrochent la mâchoire à chaque instant. L’animation des personnages est superbe et les quelques cinématiques qui parsèment le récit seront nous achever.
Compilation de quelques-unes de la cinqquantaine de captures d’écran réalisées pendant le test pour le plaisir des yeux :
Impossible de conclure la question sans évoquer le travail fou de Berlinist, qui faisait déjà un malheur sur Gris et qui récidive avec une bande-son artistique absolument folle pour accompagner cette merveille visuelle. Le trio a, lui aussi, pu diversifier ses approches musicales, notamment grâce aux antagonistes, que ce soit des ennemis de base, des boss ou la grande méchante. Des éléments qui donnent au groupe de compositeurs l’occasion d’insuffler de l’épique entre deux compositions aériennes terriblement efficaces.
Neva pas trop longe
Si Gris faisait le choix d’une aventure sans défis réels, ce qui pouvait être un point de contention pour certains, Neva va venir partiellement rectifier les choses, puisqu’il est désormais possible de mourir au cours de cette aventure de quatre heures. Notre guerrière va avoir trois vies avant de voir l’écran de game over et réapparaître au checkpoint le plus proche (qui n’est jamais bien loin de toute manière). Une chute mortelle nous coûtera donc un point de vie et si l’exploration n’est jamais bien complexe, certaines séquences où l’on est poursuivie nécessiteront une deuxième tentative, mais elles se comptent sur les doigts d’une main.
Les courses poursuites sont l’un des rares moments qui apportent du défi.
Le jeu n’est pas bien compliqué lors de ses phases d’exploration pour autant et les sections un peu plus relevées seront totalement optionnelles. Dans chaque chapitre, il sera possible de trouver des fleurs plus ou moins bien cachées nécessitant un timing plus rigoureux pour être obtenu. Est-ce que ces dernières ont un impact scénaristique sur la conclusion ou est-ce seulement pour le défi ? On ne saurait dire, n’ayant pas réussi à toutes les trouver, mais sachez qu’une fois un chapitre terminé, le jeu nous indique via son menu s’il nous manque des fleurs, avec la possibilité de refaire la section.
Neva-t-en guerre
Mais l’ajout majeur qui vient apporter plus de défi à Neva, c’est son système de combat. Fini la contemplation de Gris, ici notre guerrière sans nom sait se battre et n’hésitera pas à dégainer son épée. Là encore, rien de bien complexe en vue, avec un seul bouton d’attaque, un double saut, un tiret et une roulade pour esquiver n’importe quel coup. Une autre technique sur laquelle nous restons vagues viendra enrichir tout cela à la moitié du jeu. Si notre personnage à trois vies, taper des ennemis plusieurs fois d’affilée sans se faire toucher permettra de se régénérer. Le système est simple et efficace, et on ne demandait de toute façon pas nécessairement à Neva quelque chose de beaucoup plus complexe.
Le problème, c’est que l’arrivée des combats dans un jeu contemplatif pose parfois des soucis. Vous vous souvenez du zoom out que Nomada adore dont nous parlions plus haut ? Eh bien, sachez que certains combats se font à cette échelle et entre les effets des attaques et l’environnement comme de la brume par exemple, il arrive par moment que les choses deviennent plus difficiles à lire. Si le jeu tourne parfaitement bien sur Steam Deck, c’est encore plus compliqué de voir son personnage à cette échelle, sur un écran si petit, et les options d’accessibilité ne malheureusement pas de mettre notre personnage en surbrillance pour pallier ce défaut .